homelyoo_non discrimination au logement

Cela a déjà été démontré : l’accès au logement fait partie des situations dans lesquelles la discrimination demeure un problème majeur et récurrent, en particulier dans les recherches à la location. Plusieurs études ont mis en relief des discriminations liées à la couleur de peau ou à l’origine des individus. Mais la discrimination dans l’immobilier peut aussi revêtir d’autres caractéristiques, comme l’âge ou les moeurs par exemple. Le cas d’Hélène, 70 ans, nous a émues. Aussi, nous avons souhaité mettre un coup de pied dans la fourmilière pour rappeler à chacun que la lutte contre toutes les formes de discriminations, c’est l’affaire de tous – particuliers comme professionnels de l’immobilier – et de tous les instants.

Hélène a 70 ans et voudrait louer un appartement

Hélène a 70 ans. Elle vit seule, dans son appartement de 55m2 à Levallois, dont elle est propriétaire. Mais Hélène sent que ses jambes et sa santé ne la portent plus aussi bien qu’il y a 10 ans, quand elle a acheté. Alors l’absence d’ascenseur commence à lui poser problème : elle se résout donc à vendre son appartement et se voit contrainte de trouver un nouveau logement en location, parce qu’elle sait qu’aucune banque, à son âge, ne lui prêtera de quoi acheter un nouvel appartement. Or la somme qu’elle percevra à la vente du sien ne sera pas assez importante pour retrouver une surface équivalente dans un immeuble avec un ascenseur. C’est que cela coûte très cher d’acheter si proche de Paris ! Alors Hélène fait appel à nos services de chasseur immobilier, parce que c’est angoissant pour elle, femme seule de 70 ans, de partir à la recherche de son appartement. Nous avons rencontré Hélène chez elle et nous avons discuté de ses besoins et de sa situation. Elle cherche un appartement dans un immeuble avec un ascenseur et elle a besoin d’une douche, parce qu’elle n’ose plus aller dans sa baignoire, de peur d’y rester coincée. Ce sont ses 2 seuls impératifs.

Nous apprenons qu’elle touche une pension de retraite de 1500 euros environ, qu’elle possède une assurance vie d’un montant solide, quelques économies, et qu’elle est prête à demander à sa banque de bloquer 6 mois de loyers sur un compte pour rassurer un bailleur qui le souhaiterait quant au bon versement de ses mensualités. L’appartement qu’il faudrait à Hélène affichera sans doute un loyer de 2000 euros. Le propriétaire demandera que son locataire gagne au moins 3 fois le montant du loyer, comme il est de coutume en région parisienne. Malgré le capital d’Hélène, il y a fort à parier qu’il privilégiera le dossier d’un locataire présentant les revenus récurrents qu’il attend. Et puis, Hélène a 70 ans et ses revenus réguliers sont inférieurs à 24 116€ : elle est ce que l’on appelle « un locataire protégé », et c’est tant mieux pour elle. Mais cela signifie, pour son futur bailleur, que s’il doit lui donner congés, il devra lui proposer un logement situé à proximité, répondant à ses besoins et à ses possibilités. Alors, pensez-vous qu’Hélène fera le poids face à un jeune couple de salariés ? Ne pas louer à Hélène, c’est avoir un comportement discriminant dans l’accès au logement, lié à l’âge et au motif que ses revenus sont constitués non pas d’un salaire récurrent mais d’une pension de retraite et d’une assurance vie notamment. La loi punit toute discrimination à cause de l’un ou l’autre de ces motifs, notamment dans l’accès au logement. C’est parce que le cas d’Hélène n’est pas un cas isolé qu’il faut encore lutter contre la discrimination pour l’accès au logement.

L’immobilier, un secteur à fort risque de discriminations pour l’accès au logement

On ne le sait que trop, l’immobilier et l’accès au logement font partie des économies dans lesquelles la discrimination, – qu’elle soit directe ou indirecte – demeure un problème majeur et récurrent pour les personnes cherchant à se loger, en particulier à la location. Dans son étude menée en 2016 (1), le Défenseur des Droits montrait que la recherche de logement arrivait en 3ème position des situations où la perception des discriminations était la plus importante (après le contrôle de police et à quasi-égalité avec la recherche d’un emploi). En réalité, chacun d’entre nous « connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un » qui a rencontré des difficultés pour se loger parce qu’il ou elle est un parent isolé, parce qu’il ou elle a une peau « trop » brune ou noire, parce qu’il ou elle a un nom à consonance étrangère, parce qu’il ou elle souhaite s’installer en colocation, parce qu’il ou elle est porteur ou porteuse d’un handicap, parce qu’elle porte un voile …

Dans 80% des cas, la discrimination porte sur l’origine ou la couleur de peau. Une pratique que l’on peut mesurer par le délai d’accès à un logement : il varie considérablement selon que l’on soit « perçu comme blanc, arabe ou noir ».

Ce n’est malheureusement pas une surprise. Mais cela ne doit pas non plus devenir l’arbre qui cache la forêt : dans 67% des cas c’est le sexe de la personne qui est en cause, dans 65% des cas son âge, 54% sa religion, 53% son handicap ou son état de santé, et dans 36% l’état de grossesse ! Autant de difficultés qui peuvent même se cumuler pour peu que l’on soit, par exemple, une maman célibataire, noire et porteuse de handicap !  Il est important de se rendre compte que l’on parle de la vie de nos concitoyens et d’un besoin fondamental pour tout être humain : avoir un toit sur la tête. Alors que le mal logement est l’un des maux du siècle, à l’heure où la crise sanitaire et économique risque d’accélérer considérablement le phénomène, il n’est pas admissible que de telles pratiques pour l’accès au logement puissent encore exister.

 

Les agences immobilières dans le viseur

Le Défenseur des droits a constaté dans son étude que les discriminations portaient majoritairement sur les situations de recherche de logement à la location. Il serait donc possible, pour les bailleurs, de discriminer en toute impunité ? Et que font les intermédiaires qui, notamment dans les grandes villes, sont chargés de mettre à la location les biens des propriétaires privés ? Sont-ils décisionnaires ou simplement complices de leurs clients ? Savent-ils tous qu’ils encourent des sanctions très lourdes si leur faute est portée à la connaissance de tous ?

Le média Loopsider et SOS Racisme ont confié au journaliste David Perrotin, en 2019, une investigation auprès de 9 grands groupes d’agences immobilières (2). Il devait se faire passer pour un propriétaire désireux de mettre son appartement en location, mais indiquait implicitement qu’il ne souhaitait pas de locataire « noir ou arabe ». Résultat du test : 53% des agences immobilières testées ont accepté la demande du faux propriétaire. Certaines lui ont expliqué qu’elles ne pourraient pas refuser les visites de ces personnes, mais qu’elles ne présenteraient pas leurs dossiers de location ensuite. C’est absolument illégal et la plupart des agences en avaient conscience. Pensent-elles ne rien risquer parce que « c’est le propriétaire qui choisit » ? Si c’est le cas, elles étaient encore extrêmement mal informées. La dignité et la qualité de professionnel assujetti au respect des lois consiste justement à ne pas se soumettre sur ce point aux exigences d’un bailleur.

 

Les propriétaires eux-mêmes sont-ils plus respectueux de la loi ?

Une autre enquête, en Ile-de-France, menée par SOS Racisme (3) par la méthode du testing, sous forme de réponses par mail envoyées à 775 annonces immobilières de location demandant à visiter un appartement, a montré que les français de souche ont reçu 17% de retours positifs par les agences immobilières, contre 15% pour les noms à consonance maghrébine et 11% pour les profils d’Afrique subsaharienne ou ultramarine. On notera au passage le faible taux de réponse moyen, quelle que soit l’origine imaginée !

Quand bien même ce test montre des pratiques discriminantes à l’accès au logement évidentes, il n’en demeure pas moins que les résultats sont pires encore lorsque le propriétaire du logement mis en location est contacté directement à travers l’annonce qu’il a postée : une personne avec un nom à consonance subsaharienne ou ultramarine a 38% de chances en moins qu’une personne avec un nom à consonance française de recevoir une réponse positive par le bailleur en direct. Le chiffre est de 28% si le nom est à consonance maghrébine, et 15% pour une consonance asiatique. Les agences immobilières jouent donc, malgré leurs manquements, un rôle de régulateur pour contrer les pratiques de discrimination dans l’accès au logement. Certes, les professionnels affichent un test moins défavorable que les propriétaires, mais c’est le zéro défaut qu’il faut viser. On notera d’ailleurs qu’une grande enseigne d’agences a réussi à montrer la voie.

 

Que prévoit la loi en cas de discrimination avérée pour l’accès au logement ?

La loi est claire : l’auteur d’une discrimination, qu’il s’agisse du propriétaire du logement ou de l’intermédiaire immobilier, encourt jusqu’à 3 ans de prison et 45 000€ d’amende. Cette amende peut atteindre 225 000€ si c’est une personne morale qui est déclarée pénalement responsable d’une infraction commise par l’un de ses représentants. L’interdiction d’exercer peut aussi être prononcée contre le professionnel mis en cause. A lire les sanctions encourues, on pourrait imaginer que propriétaires comme agences devraient être vaccinés (puisque c’est le mot à la mode) contre toute sorte de discrimination. Mais la menace semble demeurer insuffisante, pour plusieurs raisons.

La difficulté principale, pour les personnes victimes de discrimination, c’est de prouver ce qu’elles ont subi. Il faut pouvoir apporter la preuve tangible de la pratique discriminante du particulier ou de son intermédiaire. Lorsqu’il s’agit d’un dossier qui n’a pas été sélectionné parmi d’autres, la mauvaise foi aura vite fait d’arguer que les revenus d’untel semblaient plus sécurisants. Lorsque la visite est empêchée, en revanche, pour peu que ce soit indiqué par écrit, prononcé devant témoin ou que cela soit enregistré par téléphone, on peut imaginer que la victime aura un commencement de preuve. C’est pour cela que la méthode du testing reste l’une des plus efficaces pour dénoncer les discriminations qui persistent. En effet, depuis la loi du 31 mars 2006 et à condition qu’elle n’ait pas été obtenue de manière déloyale, cette pratique est admise comme preuve par la justice. Ce sera alors à l’accusé de prouver le contraire (article 1er de la loi du 6 juillet 1989).

 

Du rôle de la formation et des instances de contrôle dans l’immobilier et l’accès au logement

L’autre enjeu majeur, du point de vue des professionnels de l’immobilier, c’est la formation des personnes en charge des mises en location. Les règles définies par la loi Alur du 24 mars 2014 et modifiées par le décret publié le 16 octobre 2020, obligent tout professionnel de l’immobilier de suivre 2 heures de formation sur la lutte contre la discrimination tous les 3 ans. C’est la condition sine qua non du renouvellement de son droit d’exercer (condition du renouvellement de la carte de transaction). Étant donné l’ampleur du problème, on aurait pu souhaiter que la formation soit plus approfondie. Mais cette nouvelle obligation marque un premier pas vers la responsabilisation des intermédiaires dans l’égalité de traitement pour l’accès au logement. Un professionnel formé en vaut deux.

Enfin, il va falloir, sans délai, remettre sur la table le sujet du contrôle des activités immobilières. La loi Alur, toujours, avait associé à la création du Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières (le CNTGI) une commission de contrôle, dotée du pouvoir de sanction allant jusqu’à l’interdiction d’exercer. La loi ELAN de 2019 a précisé sa gouvernance, son rôle et son fonctionnement. Trois ans plus tard, cette commission de contrôle n’est toujours pas créée et ses membres n’en sont toujours pas nommés. Pourtant, nombreux sont les sujets sur lesquels elle pourrait dessiner le chemin vers des pratiques vertueuses dans le secteur du logement, et notamment se pencher sur les comportements discriminants en sanctionnant ses auteurs. En attendant que le secteur se prenne aussi en mains, la victime de discrimination peut toujours saisir le Défenseur des Droits, qui reste l’organisme indépendant de référence pour recevoir, conseiller et orienter les personnes concernées.

 

Sources : (1) https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2017/12/enquete-sur-lacces-aux-droits-volume-5-les-discriminations-dans-lacces (2) Agences testées : Guy Hocquet, Century 21, Foncia, Era France, L’adresse, La Forêt, Nestenn, Orpi, Arthur Immobilier. https://hiphopcorner.fr/agences-immobilieres-discrimination-enquete-loopsider (3) https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant/

Crédit photo : Silviarita de Pixabay

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